Chaque saison de pêche à la ouananiche au Kiamika commence avec son lot d’espoirs, de stratégies peaufinées, et de rêves de trophées. Mais ici, rien n’est jamais garanti. C’est un plan d’eau aussi magnifique qu’exigeant, où même les plus expérimentés se font parfois remettre à leur place. Et pourtant, on y revient, encore et encore, attirés par cette promesse toujours vivante : celle d’un combat inoubliable avec un poisson légendaire. Voici le récit de mes premières semaines de ma saison Kiamika 2025, racontées à rebours — entre succès, déceptions, rires, gelures… et cette fameuse ouananiche qu’on n’oubliera jamais.
Lundi 19 mai
Matin sans pluie, mais nettement plus glacial qu’hier. À 6 h, le ressenti frisait le zéro. Un bon vent du Nord soufflait toujours avec des rafales à 40 km/h. Je suis allé prospecter une embouchure de ruisseau, où la fraye de l’éperlan est encore bien active. Malheureusement, j’avais oublié mes bottes d’hiver… grave erreur que j’ai amèrement regretté.
Avec pieds gelés pendant plus de deux heures, j’ai quand même obstinément tapoché mon secteur espérant y croiser une King Kong. Encore une fois, pas de succès à cet endroit cette année… mais tout y est pour qu’elle se montre. La ouananiche ne semble juste pas au courant que c’est là que ça se passe. loll
Avant d’en arriver à envisager l’amputation d’un orteil, j’ai bougé vers un autre secteur à fort potentiel. Mais comme souvent en plein front froid, j’ai eu droit à un prix de consolation : un brochet.
La température de l’eau, qui affichait près de 60°F, est maintenant redescendue à 50°F. Il faut dire que ce fameux 60 n’était pas vraiment représentatif de la température réelle du plan d’eau. Avec le brassage du plan d’eau par le vent, on a enfin une lecture plus réaliste.
Dimanche 18 mai
Journée de commissions : épicerie, plein d’essence, etc. Mais j’ai tout de même pris le temps de faire quelques passes tôt le matin, avant de partir au village. Le vent du Nord commençait à se lever, le front froid nous tombais dessus, mais la température sans être chaude, était encore tolérable – autour de 10°C à 6 h.
Je suis retourné dans le même secteur que la veille avec mes clients. J’ai malheureusement perdu ma mouche vedette de la veille, une Grey Ghost à corps orange, coupé par un pike (2 secondes après la fin du vidéo).
J’ai réussi à prendre une ouananiche et j’en ai manqué une autre. Quand j’ai croisé mes clients qui séjournaient aussi à Pourvoirie Cécaurel, eux, en avait capturé deux. Je suis content pour eux : ce sont de bons pêcheurs et je pense avoir bien rempli mon rôle de guide, en leur expliquant la dynamique du plan d’eau et les caprices de ce poisson aussi difficile qu’excitant à capturer.
Samedi 17 mai
Journée de guidage avec Tom et Zach. On a concentré nos efforts sur un large secteur prometteur. Résultat : six ouananiches, dont une très belle, tout près des 25 pouces.
J’ai testé plusieurs combinaisons de soies et de mouches, mais c’est avec la soie intermédiaire qui s’est montrée la plus efficace. J’avais affaire à deux pêcheurs expérimentés, attentifs à mes conseils. Ils ont su garder le bon angle de canne pendant les combats et surtout, relâcher la poignée du moulinet au bon moment – un détail crucial sur lequel je vais revenir.
Ils étaient prêts pour un poisson trophée. On y a cru jusqu’à la fin – même avec un peu d’overtime loll – mais malgré tous nos efforts, ça ne s’est pas concrétisé. Cela dit, on a eu droit à plusieurs bons combats, et un très beau poisson au final.
Vendredi 16 mai
J’avais aujourd’hui un groupe que j’avais guidé l’année dernière ici au Kiamika. Ils savaient déjà un peu à quoi s’attendre avec la pêche à la ouananiche… et surtout, ils connaissaient la réalité du plan d’eau.
Le réservoir Kiamika n’est pas le plan d’eau le plus facile. Si vous croyez qu’il suffit de traîner une mouche ou un Pin’s Minnow près des frayères à éperlans pour avoir du succès, vous risquez d’être rattrapé par la réalité assez vite.
Les meilleurs pêcheurs de ouananiche que je connaisse viennent ici, et je vous garantit qu’eux aussi connaissent des journées difficiles, bien plus souvent qu’on pense. Mais ils reviennent, parce que le potentiel pour un poisson trophée est toujours là.
Mes clients du jour avaient connu Kiamika 2023, l’une des pires années des 15 dernières! Et même si cette saison est bien meilleure, ils sont tombés tombe sur la journée la plus tough.
Bon, c’est peut-être un peu pessimiste de dire cela. On a quand même pris deux poissons, dont un très beau. Et pour être honnête, j’ai déjà vu bien pire.
Mercredi 14 mai
Ah, cette fameuse journée du 14 mai… Ce matin-là, j’avais à bord deux nouveaux adeptes de pêche à la ouananiche. Et pour un guide, qui comme moi utilise des cannes à mouche, ça représente toujours un défi supplémentaire de guider des pêcheurs qui n’ont jamais pêché la ouananiche, et surtout, qui n’ont jamais utilisé de cannes à mouche. C’est crucial de bien leur faire comprendre la mécanique de cet équipement. Même avec les habitués, j’ai toujours un rappel concernant l’utilisation d’une canne à mouche, question d’éviter les mauvaises surprises.
Parce qu’une canne à mouche, ça ne pardonne pas. Il n’y a pas le frein du moulinet qui va compenser les erreurs durant le combat. Le frein existe, mais il est réglé au minimum, justement pour éviter de casser le fil lors des attaques-éclairs des ouananiches. Ce n’est pas comme avec un lancer léger, si tu tiens la poignée du reel à mouche, la bobine ne déroule pas, tu empêches le poisson de partir. C’est comme si tu mettais ta main sur ta bobine de lancer-léger quand un poisson part pour se sauver. Je te laisse imaginer le résultat…
Alors pourquoi je privilégie l’utilisation de canne à mouche?
D’abord parce que c’est une technique particulièrement performante pour couvrir avec précision les premiers 20 pieds de la colonne d’eau — une zone clé où la ouananiche est fréquemment active, surtout en début de saison. Ensuite, sur le plan mécanique, la canne à mouche offre plusieurs avantages en combat : elle est légère, très sensible, et permet une lecture précise des mouvements du poisson. Sa longueur et sa flexibilité permettent une meilleure absorption des attaques rapides et des longues « runs » caractéristiques de la ouananiche, réduisant ainsi les risques de décrochage ou de bris de fil. Résultat : un meilleur contrôle du combat, et une expérience de pêche plus agréable et excitante.

Différentes cannes pour différentes soies. Le but : couvrir toutes les profondeurs entre zéro et 20′ Montée gaucher ou droitier selon la préférence du client.
La ouananiche, elle, c’est pas un poisson ordinaire. Ultra rapide, imprévisible, acrobatique. Et là, désolé si je blesse les sentiments de certains en disant ça, mais un doré, ça fight comme une branche, ça a rien à voir avec une ouananiche. Un achigan, oui c’est combatif, oui ça saute, mais ça ne fait pas des « run » comme une ouananiche. Livre pour livre, il n’y a que le saumon ou une grosse truite arc-en-ciel qui peut rivaliser en eau douce ici au Québec. Ta wawa est à côté du bateau, en un claquement de doigt, elle est à 75’ du bateau et elle a fait un saut. C’est ça la ouananiche! Et pour un débutant, c’est tout un baptême. C’est beaucoup d’information à gérer d’un coup, et dans le feu de l’action, les conseils du guide peuvent vite disparaître dans le néant…
Mais faut pas se décourager non plus. Il ne faut pas voir cette pêche comme trop difficile ou trop compliquée. J’ai initié des dizaines de personnes à cette pêche, et pour la plupart, ils ont fini par s’acheter leur propre kit tellement ils avaient aimé l’expérience. Parfois, on est chanceux. Parfois moins. Une de mes ex a déjà combattu une ouananiche de 12 livres en faisant toutes les erreurs imaginables… et elle l’a quand même mise dans le filet! Mais tout le monde n’a pas cette chance-là!
Quand je dis que les meilleurs pêcheurs de ouananiches viennent tenter leur chance ici au Kiamika pour avoir un jour une chance sur un trophée, bin savez-vous quoi, cette chance on l’a eu en ce matin du mercredi 14 mai. Des chances comme celle-là, j’avais l’habitude d’en avoir une fois par année. Mais là, ça faisait depuis 2020 que ce n’était pas arrivé. Ça vous donne une idée de la rareté de la chose.
Et là, on l’avait au bout de la ligne.
Mais l’avoir au bout de la ligne, c’est une chose. L’avoir dans le bateau pour la photo, s’en est une autre. Ces trophées-là ne laissent aucune chance au pêcheur. En plus d’être rapides et acrobates, ils sont forts. Ces poissons-là ne pardonnent rien. Même après 10 minutes de combat, ils ont encore plein de d’énergie.
J’ai plusieurs ouananiches de plus de 10lbs à mon actif. Mes deux plus grosses ont pris 42 et 44 minutes à sortir. Je sais de quoi elles sont capables. Ma plus grosse, après 20 minutes de combat, je l’ai tenu pendant un 10 minutes supplémentaires en dessous du bateau, et elle s’est pété une « run » sur une centaine de pieds avant de sauter. C’est ça une ouananiche trophée, et c’est pour cette raison que les maniaques qui ont goûté à cette pêche rêvent tous d’en prendre une dans leur vie. C’est pour ça que je guide ici.
Ce mercredi-là, c’était notre moment. Je vous le dis, Je suis convaincu que c’était la plus grosse ouananiche capturée au Kiamika depuis l’ouverture. Peut-être même la plus grosse de la saison.
Et puis…c’est arrivé. On l’a perdue. Elle était là. Et elle est partie.
Erreur classique : ma cliente a gardé sa main sur la poignée du moulinet quand le poisson a vu le bateau et qu’il a voulu faire une dernière run. Une fraction de seconde d’inattention… et c’était fini.
Bien sûr que j’étais déçu. Je vis pour ces moments-là. J’ai dédié ma vie à la quête de ouananiches et de musky trophées. Et ces occasions-là, elles se présentent rarement. Pour certains pêcheurs, jamais. Mais ma job, c’est aussi de transmettre cette passion-là, peu importe le niveau du pêcheur. Et je ne serais pas un bon guide si je laissais paraître ma déception — ou pire, si je faisais sentir ma cliente coupable. Ce serait non seulement non-professionnel, mais surtout, un profond manque de respect envers ceux qui me font vivre de ce que j’aime le plus.
Alors oui, je lui ai expliqué. Parce que ça fait partie de l’apprentissage. Mais je lui ai aussi dit :
« C’est pas grave. Ça fait partie de la game. Là, tu pèses sur le piton « reset », on continue et on passe à autre chose. »
Et le reste de la journée s’est super bien passé.
Mais une chose est certaine : elle sait maintenant ce que c’est, un vrai combat de ouananiche. Et ça, elle ne l’oubliera pas de sitôt.

Malgré notre malchance avec notre poisson trophée, ce fût une très belle journée en bonne compagnie.
11 au 13 mai
Pour ces journées, on subissait cette fameuse canicule avec des températures anormalement chaudes pour le temps de la saison. Heureusement que la fraye de l’éperlan battait son plein, car la pêche aurait été catastrophique. J’ai déjà vécu ce genre de chaleur avant le début de la fraye – c’était l’enfer. Là, en se concentrant sur les bons secteurs, on a quand même eu du succès.

Nous n’étions pas les seuls à s’intéresser aux éperlans. Il y avait un comité d’accueil qui les attendaient patiemment.
6 au 10 mai
Samedi 10, mes clients Amaury et Geoffrey ont fait 5 ouananiches.
Le 8 et 9 mai, mon client René en a pris 8, dont une 25.25 pouces.

René n’en n’est pas à sa première ouananiche du Kiamika. Il ne manque jamais son rendez-vous annuel.
La première semaine fut la plus productive, non pas pour la qualité, mais pour la quantité. Malgré la pluie et parfois le vent, ce sont pendant ces journées que nous avons fait le plus de fish. J’avais plusieurs amis qui étaient là en même temps que moi. Mon chum JC et son beau-père ont pris plus d’une trentaine de ouananiche en 4 jours et mon chum Ben et Alain ont aussi capturés plusieurs wawa. Mon autre chum Fred a aussi bien fait et s’est même claqué une 8lbs! Il y a Sylvain aussi qui a fait de très beaux poissons. Bref, malgré le temps maussade et même les vents du Nord, la pêche était bonne.
Conclusion
Ce début de saison au Kiamika a été à l’image de la ouananiche elle-même : imprévisible, exigeant, mais profondément exaltant. On a connu des hauts et des bas – des journées glaciales sous un vent du nord, des canicules hors saison, des moments de gloire et d’autres de frustration. Mais chaque instant passé sur l’eau, chaque saut imprévu, chaque run fulgurante nous rappelle pourquoi on revient ici, année après année. C’est pas la facilité qui nous attire, c’est le défi. La ouananiche ne se donne pas facilement – et c’est exactement pour ça qu’on l’aime autant. Ceux qui ont goûté à son combat le savent : elle laisse une marque. Et pour ceux qui n’en ont pas encore eu l’occasion, je leur souhaite un jour de le vivre.
Fish-On!